Les réserves presque unanimes à l’égard du CSEN ne servent-elles à rien ?

 

Le dernier Science et Avenir publie une interview du Ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer. La civilité de ses réponses est bien faite pour écarter les sujets qui fâchent.  Il s’est voulu rassurant, car il faut dire que le Conseil Scientifique de l’Education nationale qu’il a mis en place a été assez unanimement contesté, même par le Pr Houdé, pourtant de la même obédience. Ce dernier y a vu l’hégémonie d’une seule orientation, celle que défend le Pr Ramus, membre du CSEN, qui a déclaré sans preuve que 30 à 50% des dyslexies et des dyscalculies sont d’origine génétique. La déclaration de dix-neuf généticiens de renom, publiée dans le Monde du 25 avril 2018 fait justice de ces assertions… et pourtant cela n’y a rien changé ! Jean-Michel Blanquer a donc souhaité dissiper les inquiétudes : Les neuroscientifiques dit-il, ne dicteront pas ce qu’ils ont à faire aux enseignants et il récuse qu’ils seraient hégémoniques au CSEN – en dépit des chiffres.

Franck Ramus a pourtant déclaré dans Lepoint.fr que si les enseignants et les autres acteurs de terrain n’étaient pas représentés au CSEN, c’est parce qu’ils n’étaient pas… scientifiques. Malgré tout, et dans le même esprit de conciliation, Jean-Michel Blanquer refuse à l’avance toute démarche autoritaire – bien qu’il promette un peu plus loin une évaluation généralisée des élèves à la rentrée, et la mise en place d’une formation des enseignants selon ses critères. Il déclare : « nous allons faire en septembre une évaluation des élèves du cours préparatoire, afin de déployer les meilleurs outils pour évaluer les compétences des enfants ». Les « outils » ne seront-ils pas déjà un choix neurodéveloppemental ?

Mais ce numéro de Science et Avenir publie aussi une interview intéressante d’Helena Pascalini, membre du CSEN. Cette « neuroscientifique » déclare… « qu’il faudrait explorer un potentiel caché du cerveau qu’une manipulation pourrait révéler ». Cette manipulation permettra-t-elle d’acquérir un « super pouvoir » ? Elle a la prudence de conseiller aussitôt de se méfier des neuro-mythes ! Car en effet ce super pouvoir n’est pas pour demain la veille. Comme le dit Alain Ehrenberg à une autre page du même magazine, il s’agit « d’une nouvelle idéologie d’autonomie… en train de devenir l’autorité morale prenant la place de la psychanalyse ».

Mais ayons la patience de lire une citation dans les mêmes pages de Stanislas Dehaene dirigeant du CSEN. Il déclare : « Les sciences cognitives ont identifiées quatre facteurs principaux de réussite d’un l’apprentissage : l’attention, l’engagement actif, le retour d’informations et enfin la consolidation ». Est-ce là du nouveau que nous attendons tous ? Les éducateurs le savent depuis longtemps ! Lorsque Jean-Michel Blanquer déclare que l’école doit être « reliée aux méthodes de la science », il faudrait qu’il soit démontré – au moins une fois – que n’importe lequel des résultats obtenus grâce à ces hypothétiques nouveautés scientifiques à une application pratique qui va renouveller des savoir-faire déjà éprouvés. Chacun souhaiterait que les choses changent bien sûr ! Mais pour cela, encore faudrait-il avoir un petit début de preuve qu’une fois le cerveau ausculté, il serait capable d’agir tout seul (et comment ?). Car regardons les résultats exposés dans ce numéro à partir des expériences faites dans certaines écoles. Dans des « cogni-class » du lycée Robert Schuman à Charenton, les élèves sont équipés d’un matériel complexe et nantis de « flash cards ». Et quel est le résultat de ces équipements coûteux ? Lorsqu’ils ont des difficultés repérées grâce à ce matériel (y-a-t’il vraiment besoin de lui ?) les élèves s’interrogent ensuite les uns les autres pour les résoudre. Ils doivent parler de leurs blocages à l’un des enseignants. La description de ces échanges n’a comme résultat rien d’autre que des recettes de grand-mère – connues depuis longtemps ! Quoi de neuf lorsqu’on lit « il faut réviser les notions à intervalles réguliers sur plusieurs mois ». Ou bien, il faut que l’élève sache « se remettre en question », et que ce sont les éducateurs qui apprennent « comment lever des inhibitions aux enfants par de petits jeux ». S’il y a une efficacité positive lors de telles expériences, c’est que le photographe neurodéveloppemental laisse tomber son matériel et ses clichés IRM et se met à parler avec l’enfant en difficulté. En réalité cet appareillage de mesure du cerveau et ce jargon pseudo-scientifique n’apportent rien de neuf. Comme le déclare le SNUIPP, principal syndicat de l’école primaire qui a lancé un appel pour que le ministère ne soutienne pas uniquement les neuroscientifiques : « Les résultats récents dans cette discipline ne bouleversent pas ce que les enseignants expérimentés savent déjà ». C’est du moins l’avis de l’un des signataires, Laurent Goigoux.

 On finit par se demander quelle est la raison de ces dépenses technologiques, qui ne pourraient pas – de toute façon – être mise en place dans toutes les classes. On n’ose pas dire que les expériences pilotes des « cogni classe » ressemblent à une vitrine publicitaire. Il serait juste souhaitable que le même nombre d’éducateurs soit alloué à toutes les classes, en économisant un matériel aussi couteux qu’inutile. Que retiendra l’opinion publique de ces exemples très sélectifs ? C’est que les élèves qui n’arrivent pas à surmonter leurs difficultés ont un cerveau déficient. Encore s’il s’agissait des neurosciences ! Ce n’est même pas le cas. Encore s’il s’agissait de génétique ! Ce n’est pas le cas non plus.

 Sous le couvert de justifications neurodéveloppementales, ce sont de vieilles thèses antiscientifiques et eugéniques qui sont mises en avant. Le comportementalisme qui participe à ce concert est conçu comme si le comportement était inné. Les auteurs de ces thèses ne devraient pas oublier les conséquences historiques de l’Eugénisme. Comme d’éminents généticiens l’ont fait récemment, les neuroscientifiques sérieux vont-ils accepter encore longtemps que leur discipline soit détournée au profit de la ségrégation scolaire ? Car pour l’immense majorité des enfants, leurs difficultés ne viennent pas d’un cerveau handicapé. Leurs problèmes familiaux et leurs conditions sociales le retardent. Les photos du cerveau prises à l’IRM n’en diront jamais rien. Au fond, tout cette publicité démontre malgré elle qu’il faut des spécialistes de la relation et de la sociologie pour donner son orientation générale au système éducatif. Il serait positif que les photographes du cerveau continuent leurs expériences dans leurs laboratoires jusqu’à ce qu’ils amènent des résultats enfin convaincants. Ne faut-il pas demander un changement de composition du « Conseil scientifique de l’Education nationale » ? Son orientation pseudo-scientifique est une barrière qui – dès l’enfance – élève un premier obstacle bien longtemps avant celui de « Parcoursup », mais avec une justification « scientifique » indémontrée. Elle est inacceptable.

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