QU'ENTEND-ON PAR INCONSCIENT ?

Stéphane Fourrier 

Ce pourrait être le fil rouge de notre colloque, maintenant imminent, qui traitera de la place de l’inconscient aujourd’hui. Qu’est-ce que chacun met dans ce mot ? Qu’y reconnaît-il comme signification pour l’admettre ou le repousser ? Cette question de ce qu’est l’inconscient peut-elle rester ingénue ? N’avons-nous pas tous, que nous soyons psychanalystes, analysants, soignants, travailleurs so-ciaux, artistes, scientifiques, ou intéressés de diverses manières à la question de ce qu’il y a de sujet désirant à préserver chez chacun, besoin de laisser cette interrogation ouverte et productrice ?

Freud se rêvait le découvreur de ce qu’il appelait l’inconscient, l’Unbewußt. En voulant attacher son nom à la science du rêve et au déchiffrage de l’inconscient, il opère en fait une véritable révolution épistémologique comparable aux plus grandes spéculations scientifiques. L’inconscient dont il parle est dès lors l’inconscient freudien. Pour en garder la portée, il est né-cessaire de ne pas réduire l’inconscient à un concept à tout faire. N’hésitons donc pas à le déconstruire, à en réinterroger les mani-festations et les productions et surtout à chercher ce qu’il dit de notre condition humaine. N’oublions pas qu’il ne s’agit que d’un mot, dont l’emploi n’est qu’une tentative de rendre compte de quelque chose au plus près de ce qui nous fait humains. Faisons que cette question de l’inconscient intéresse le plus grand nombre, en particulier dans le domaine de la science et de ses applications, de ses implications aussi, car la science n’est pas extérieure au monde des humains. Elle en fait partie, et le sujet lui-même est sujet de la science.

C’est là que le mot utilisé par Freud se laisse interroger : on entend dans Unbewußt le verbe wissen, savoir, qui vient, en allemand comme en français, d’une racine commune au latin videre, voir. Voilà qui intéressera un scientifique : une machine aussi perfection-née soit-elle ne voit pas. Elle ne fait qu’enregistrer selon un certain registre, ce qui en fait une machine pour l’homme, une extension pulsionnelle. Une machine est une sorte de prolongement, de démultiplication des capacités corporelles qui entretiennent l’homme dans son illusion de puissance. Mais voir, pour prendre cet exemple, dépasse l’apparente objectivité d’une machine car l’humain ne voit qu’à voir sans voir, dans une dialectique entre le désirable, énigmatique, et l’horreur, insoutenable. Il ne voit qu’en fonction de ce qui peut le représenter comme sujet désirant auprès d’un Autre, par cet Autre, en fonction de la structure de cet Autre qui le parle. La réalité humaine est en effet celle du désir et de ses aléas, celle de ce qui mène le sujet à son insu.

Voir est un des aménagements pulsionnels pour faire avec notre abstraction à laquelle notre cortex et nos produits culturels nous condamnent. Ce n’est pas sans effet dans le réel de ce qui revient en boomerang à l’homme aussi perspicace soit-il, ce qui fait qu’il y a tout un implicite que l’on peut encore nommer inconscient à notre époque d’un re-nouveau du culte de la conscience.

La découverte freudienne n’en finit pas de porter un coup à l’orgueil de l’homme, le révélant pour ce qu’il est : un aveugle qui s’aveugle de toutes ses représentations. Le mythe d’OEdipe en fait la démonstration : à vouloir trop en savoir, trop vouloir y voir, comme l’a voulu OEdipe, c’est la vérité qui lui est apparue effrayante sous la forme de ses propres yeux qui même arrachés continuaient de le regarder.

Quelle est donc la vérité de l’inconscient ? Avec Freud, nous apprenons ce qui est né-cessaire aux humains, ce qui les fait humains : leur besoin de se protéger ensemble, par tout ce que la culture peut avoir de meilleur, de moins pire, besoin de se protéger de la pulsion qui les anime autant qu’elle les pousse vers la mort, même quand la cu-riosité sexuelle se maquille en pulsion épistémophilique.