Édito d’avril 2023, par Jean-Marie Fossey

président de la FEP

La souffrance psychique des jeunes en danger

Il est assurément important que la psychanalyse maintienne un débat avec les neurosciences, comme elle le fait avec la psychiatrie classique, la sociologie, la philosophie, l’histoire, la littéra-ture, l’anthropologie…

Mais la psychanalyse n’est pas une neuroscience, ni ne peut donner lieu au syncrétisme avec d’autres disciplines (psychiatrie biologique, la psychologie cognitivo-comportementale, etc.). L’être humain ne peut pas se réduire à un cerveau et encore moins à un ordinateur qui traite l’information. Récemment la revue Philosophie reprenait une tribune parue dans le New York Times, où le philosophe et linguiste Noam Chomsky écrivait à propos du robot générateur de textes, spécialisé dans le domaine de l’intelligence artificielle : “ChatGPT fait preuve de quelque chose comme la banalité du mal : plagiat, apathie, évitement ». Avec une intelligence servile et sans pensée, Chomsky nous alerte pour nous mettre en garde, un robot ne possède pas l’expérience humaine du langage et ne peut donc avoir accès à la pensée. Dans son style La-can en 1958 n’avait pas manqué de le souligner en alléguant que « ceux qui vous font miroiter la synthèse de la psychanalyse et de la biologie, vous démontrent que manifestement c’est un leurre, non pas seulement par le fait qu’il n’y a absolument rien d’amorcé jusqu’à présent dans ce sens, mais parce que, jusqu’à nouvel ordre, le promettre est déjà une escroquerie. »

Pour le dire autrement à la manière de Gérard Pommier, le cerveau ne pense pas tout seul, « si-non dans les suites de la fixation des traumatismes subis par un sujet (pas les neurones). L’imagerie cérébrale ne fait que montrer des corrélations, et non la causalité. »

 

Si l’on s’appuie sur les pratiques de la psychiatrie d’aujourd’hui, il faut bien reconnaitre que c’est plus souvent l’orientation biologique, la psychologie cognitiviste et comportementale, qui prévaut. Les thèses des neurosciences, de la causalité organique, neurologique dominent pour rendre compte de la souffrance psychique.

Mais au vu des retours d’expériences, les temps seraient-ils en passe de redevenir plus favo-rable à un retour de la clinique du sujet ? Parmi les chercheurs en neurosciences des voix s’élèvent pour remettre en cause cette orientation du « tout neuronal ». Ainsi un ancien direc-teur, de l’Institut national de la santé mentale (NIMH), le principal organisme fédéral américain de recherches sur les troubles mentaux, faisait ce bilan, lors d’une interview en début 2022 : « Je pense qu’il est important de réaliser que les médicaments peuvent être un élément néces-saire, mais qu’ils sont tout à fait insuffisants dans les soins d’une personne atteinte d’une mala-die mentale grave. Il existe des soutiens psychologiques qui sont essentiels. »

Dans le droit fil de ce constat clinique, tout récemment en date du 7 mars 2023, il est intéressant de lire le dernier rapport édifiant du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) organisme placé auprès du Premier ministre. Il affirme notamment que « l’audition de cher-cheurs spécialistes a mis en exergue les impasses de la recherche et des pratiques biomédi-cales de la santé mentale, et leur impact sur la médication de la souffrance psychique de l’enfant. »

Un rapport qui fait apparaitre, soulignons-le, très nettement l’importance de la surmédicalisation. Entre 2014 et 2021, quelques chiffres, la consommation de psychotropes chez l’enfant et l’adolescent a augmenté de près de 49% pour les antipsychotiques, de 63% pour les antidé-presseurs, de 78% pour les psychostimulants, pour les hypnotiques et sédatifs 155,5%. Entre 2010 et 2019 les prescriptions de Ritaline ont augmenté de plus de 115%.

Le rapport de la Cour des comptes du 21 mars dernier, dans le même temps, met l’accent sur les faiblesses de l’organisation des soins de la pédopsychiatrie et les carences de la politique de prévention. Il souligne que 13 % environ des enfants et adolescents présentent au moins un trouble psychique. Sur les 1,6 million d’enfants et adolescents souffrant psychiquement, à peine la moitié bénéficient annuellement de soins prodigués en pédopsychiatrie. Autre mise en exergue, la diminution de 34 % du nombre de pédopsychiatres entre 2010 et 2022, sans parler de la diminution drastique du nombre de lits d’hospitalisation et des consultations (en CMPP elles ont été divisées par 4).

A la lumière de la situation, le rapport HCFEA rappelle que pour la plupart des pays européens les soins privilégiés pour les troubles psychiques de l’enfant, recommandés par les autorités de santé, concernent les pratiques psychothérapeutiques (psychanalyse et pratiques psychody-namiques, thérapies cognitives et comportementales, thérapies groupales et familiales) ; les pra-tiques éducatives ; les pratiques de prévention et d’intervention sociale. Sans manquer de sou-ligner que l’approche doit se fonder « sur l’accueil particularisé de l’enfant, le travail d’écoute et de parole, et la relation thérapeutique avec lui comme levier de soin. Quels que soient leur cadre d’exercice, l’éventail des psychothérapies doivent faire l’objet de mesures de soutien en termes d’accessibilité et de moyens. »

N’est-ce pas remettre sur le devant de la scène une fois de plus que l’homme est homme en tant qu’il est celui qui parle. Rappelant ce que nous savons depuis Freud, que la parole peut guérir. Une position bien proche de celle que nous ne cessons de marteler en tant qu’analystes, la nécessité de ne pas céder sur la place de la parole et du langage.

 

Terminons par ces deux informations pour notre Fondation :

La première c’est la constitution d’un Comité d’orientation et de propositions pour la F.E.P.

A la manière d’un laboratoire d’idées, la mission de ce comité est de proposer des voies de tra-vail, d’orientations concernant l’avenir de la psychanalyse et de notre institution. Ce comité aura le souci de renouveler les propositions en cours, de faire avancer les travaux, les recherches pour les projets à venir (colloques, congrès, site de la FEP, forums, newsletter, groupes de tra-vail, missions, etc.).

La seconde, dans le fil de ces deux évènements FEP, le VIIIème congrès international de Convergencia Quelle éthique pour la pratique psychanalytique aujourd’hui ? du 24 au 27 mai 2023 à Barcelone et le colloque Hommage à Moustapha Safouan à Mazara del Vallo les 7 et 8 juillet 2023, les membres de notre bureau proposent l’organisation du Congrès de la FEP qui aura lieu à Paris, fin du second semestre 2023 sur le thème de la Violence sexuelle et de l’interdit de l’inceste.

Nous souhaitons faire de ce congrès un évènement. Un événement centré sur une thématique en phase avec notre clinique, une clinique qui n’est pas nouvelle, puisqu’elle était déjà celle de Freud, ce qui d’ailleurs l’avait amené sur la voie de la découverte de l’inconscient. Une théma-tique en phase avec l’actualité de ces questions posées par les révélations, les témoignages d’abus sexuels. D’Impunité d’Hélène Devynck en septembre dernier, au nouveau livre de Jacques Weber On ne dit jamais assez aux gens qu’on les aime, les publications ne manquent pas pour dire l’effraction d’un tel acte. Le cinéma n’est pas en reste avec la sortie récente de ce très beau film Dalva d’Emmanuelle Nicot, qui avec beaucoup de sensibilité, délicatesse, sans pathos, ni voyeurisme aborde les ravages de l’inceste. Une œuvre coup de poing saluée de nombreuses fois par les critiques. Précisons que ce colloque aura cette particularité, cette origi-nalité pour un congrès de psychanalystes, d’être un congrès d’ouverture, à l’adresse bien évi-demment des analystes, mais également des professionnels du soin, du social, de l’aide etc.

 

error: Contenu protégé