Édito de février 2019
par Jean-Marie Fossey
Un colloque pas comme les autres
C’est par cette phrase que certains participants sont venus résumer l’expérience de ce colloque de la F.E.P. du 25, 26, 27 janvier 2019 à Caen sous l’intitulé « Le deuil, qu’en disent des psychanalystes aujourd’hui ? ». L’idée de ces journées, de travailler la question du deuil est née à Aranjuez en Espagne, lors du conseil d’administration de la F.E.P. en octobre 2016. Avec cet axe prioritaire : ouvrir ce colloque non pas seulement à des psychanalystes mais à tous les professionnels du sanitaire, du social, de l’aide, concernés par cette clinique du deuil.
A l’IRTS Normandie-Caen, l’objectif était au rendez-vous, plus de 350 inscriptions, psychanalystes, assistants sociaux, analysants, éducateurs, bénévoles d’associations, psychologues, médecins généralistes, psychiatres, enseignants etc. sont venus des quatre coins de la Normandie, mais aussi des quatre coins de la France, de l’étranger, l’Italie, l’Allemagne, la Belgique et même quelques collègues d’Argentine et du Liban. Un groupe de travail s’est constitué. Psychanalystes, sociologue, d’Alençon, de Caen, de Cherbourg-en- Cotentin, nous nous sommes réunis régulièrement pendant un an et demi pour préparer cet événement.
Le titre de ce colloque donnait le ton : traiter de la question du deuil, du deuil dans une acception large, celle d’interroger d’un côté, le deuil collectif : les pertes des illusions, des idéaux, les pertes humaines, celles de l’actualité violente, des attentats, des migrants et de l’autre le deuil de l’intime, la perte d’un ami, d’un proche, d’un parent, d’un enfant.
« Qu’en disent des psychanalystes » et non pas les psychanalystes, c’est à dire un colloque d’ouverture, un colloque éloigné de positions dogmatiques. Un colloque fidèle au Freud de 1923, lorsqu’il rappelait que la psychanalyse cherche à résoudre les problèmes immédiats de l’observation, s’avance en tâtonnant en suivant l’expérience, est toujours inachevée, toujours prête à aménager ou modifier ses doctrines. Tout en insistant, en témoignant à partir de notre expérience clinique que si la psychanalyse ne peut être donnée comme la panacée, ni ne prétend faire des miracles, elle peut sauver, pour reprendre le bon mot de Philippe Grimbert, sauver le sujet en le réveillant. Même si comme il le reprenait en 62, la guérison ne peut venir que de surcroît, Lacan n’en rappelait pas moins que l’analyse vise à modifier la position du sujet pour lui permettre de souffrir moins de ses symptômes.
Et il en fut ainsi ! Un colloque d’ouverture, des discours où chacun, s’il l’on s’en tient aux nombreux retours d’après-coup, a pu, même s’il n’était pas très averti des concepts psychanalytiques, se saisir des apports théoriques, cliniques de cette énigme du deuil, pour éclairer l’observation de sa pratique, orienter son travail face à la souffrance du deuil, voire pour certains faire acte dans une histoire intime.
Ce colloque fut celui de la transmission d’un savoir, mais aussi d’un transfert de travail : il faut que je relise Deuil et Mélancolie. (…) Je ne m’attendais pas à ce discours-là de la part de Lacaniens. (…) Il faut que je lise Lacan …
Ce colloque fut celui des retours, pour dire l’ambiance chaleureuse et accueillante qui soufflait sur ces journées : qualité des interventions (…) diversité des approches (…) organisation réussie… En témoignent dans ce sens : l’attention soutenue de l’auditoire, jusqu’au terme des journées, un amphi quasiment comble le dimanche matin, des questions posées, de nombreux échanges pendant les pauses.
Ce colloque fut celui de l’engagement : l’engagement des intervenants par la grande qualité, l’originalité de leurs conférences. Il fut celui de l’appui sur des situations cliniques pour éclairer : la métaphore, le trou dans le réel, le manque, les effets de la présence de l’analyste…
Ce colloque fut celui du temps des ateliers : un temps pour interroger au plus près le tranchant de la clinique des psychoses. Un temps pour reprendre le magnifique film de Patricio Guzmán, pour évoquer ces personnes qui ont compté Françoise Dolto, Elsa Cayat, Jean Bergès. Un temps de repérage de l’urgence de l’écriture face au deuil, celle de Charles Juliet, de Sylvia Plath, du roman de Thomas Bouvatier.
Ce colloque fut celui des petites phrases que l’on retient : Le deuil est un lanceur d’alertes dans nos vie privées (…) libérer un certain désir du sujet qui se cache derrière un symptôme pénible (…) Le surprenant oubli chez Freud de la place de l’anesthésie affective. (…) Il y a une universalité de l’acte analytique qui libère la parole (…) Ça n’a pas été symbolisé, ça arrive du dehors (…) Ce malaise dans la civilisation quand ce n’est plus la loi symbolique qui prévaut mais la loi du marché. (…) C’est de la douleur dont nous avons à faire le deuil (…) Le deuil psychique peut durer toute la vie …
Ce colloque fut celui de l’émotion : la belle lecture d’extraits de « Un secret » lus par son auteur, accompagné par un violoncelliste. Les premières notes d’une conférence avec un blues de Louis Armstrong. Une invitation chaleureuse pour un colloque à Palerme.
En un mot, ce colloque fut celui de la rencontre, le ton des échanges propice à l’écoute, au partage clinique, à l’attention à l’autre, une rencontre où la pensée pouvait fonctionner, où la dispute (dans son sens philosophique) était possible, où l’on pouvait pouâte-assez et se donner rendez-vous au prochain colloque.