Éditorial Janvier
Jean-Marie Fossey
président de la F.E.P.
2024 – Maintien de la psychanalyse dans la cité
Dans le contexte de la grande dépression, de la montée du parti nazi, Freud écrit son fameux Malaise dans la civilisation, il termine cet ouvrage par une interrogation sur le devenir de l’espèce humaine « le progrès de la civilisation saura-t-il, et dans quelle mesure, dominer les perturbations apportées à la vie en commun par les pulsions humaines d’agression et d’autodestruction » ? »
La fin d’année 2023 sonne l’heure du bilan et le constat est là, la question freudienne garde toute son actualité. De la guerre en Ukraine au drame des attentats terroristes en Israël et leurs conséquences guerrières, en passant par les milliers de morts au Soudan et en Arménie, le monde hostile de la guerre poursuit sa destruction, les forces invisibles continuent à s’acharner contre l’humanité et la menace à nouveau. En pareilles circonstances, les Hommes ne devraient-il pas se rappeler que ce Camus écrivait dans un éditorial de Combat :« devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. » ? Il en est de même de ces actes qui mènent à l’augmentation des féminicides, des violences sexistes et sexuelles, des violences sur les réseaux sociaux, où appel à la haine, rumeur et « fake news » se déploient sans limites. Sans oublier la violence du capitalisme décomplexé qui s’exerce au mépris des plus défavorisés.
Lors du colloque FEP de Caen en 2022 et plus encore lors notre récent congrès sur les violences de Paris, une seule et même question traversait ces journées : comment préserver la place du désir, de l’altérité, de l’interdit, du pacte face aux violences, aux passages à l’acte qui, inexorablement, mènent à la déshumanisation du lien social ? La réponse est immanquablement du côté de la politique, du militant, du partisan. Le psychanalyste ne peut s’ériger en prophète ou pire encore en donneur de leçons, sinon au prix que le discours analytique, devienne discours du maître. A la manière de L’avenir d’une illusion, de Malaise dans la civilisation, de Pourquoi la guerre ? (la correspondance Freud-Einstein) à partir de ce que nous enseigne, la cure, les contrôles, les analysants que nous recevons, notre lecture de Freud, Lacan et quelques autres, dans le fil du mouvement des Lumières, n’importe-t-il pas que le psychanalyste continue à chercher, à avancer, à théoriser pour transmettre, témoigner sur la racine, l’origine, la répétition de la violence, de la barbarie, de la haine. Tout en acceptant que sa contribution restera toujours très au-deçà de ce qui se passe.
Lecteur de Freud et Lacan, Roland Barthes écrit en 1977 « (…) l’écoute du psychanalyste aboutit à une reconnaissance du désir de l’autre. L’écoute comporte alors un risque : elle ne peut se faire à l’abri d’un appareil théorique, l’analysant n’est pas un objet scientifique vis-à-vis duquel l’analyste, du haut de son fauteuil, peut se prémunir d’objectivité. »
Quel regard portons-nous sur les activités de la FEP de 2023 ?
En premier lieu signalons un fait notable, la présence de nouveaux membres.
Tout au long de l’année, les séminaires des membres, les colloques, les cartels se sont poursuivis avec un intérêt soutenu. Trois moments importants de rencontre ont eu lieu. Le congrès du mouvement Convergencia où la FEP a été particulièrement engagée, un congrès où plus de 30 associations analytiques se sont retrouvées à Barcelone pour débattre du thème de l’éthique pour la pratique psychanalytique aujourd’hui. La tenue du colloque FEP à Mazara del Vallo, autour de l’œuvre influente de l’un des fondateurs de la FEP, Moustapha Safouan. Et le moment de toute importance pour notre association : le congrès, qui s’est déroulé à Paris à la Maison de la chimie autour des violences, du sexuel et de l’interdit de l’inceste.
2023 c’est aussi deux événements qui sont venus attrister la Fondation et ses membres. Le premier, en août dernier, le décès de Gérard Pommier. Une grande figure de la psychanalyse nous a quittés. Pour la FEP, Il fut en 1991 un de ses fondateurs avec Moustapha Safouan, Charles Melman et Claude Dumézil. Par son compagnonnage, son travail sans relâche, Il fut un plus-un d’exception pour apporter à notre Fondation ce qu’elle est aujourd’hui. Passionné, soucieux de la cause analytique et de sa transmission, ses positions originales, iconoclastes, resteront assurément des points de repères précieux et solides pour les orientations à venir de notre institution. Sans parler de ce désir en acte de transmission qu’il a insufflé à bon nombre d’entre nous. Le second, le décès de notre collègue allemand Claus-Dieter Rath. Engagé dès les premières heures avec les 4 fondateurs à la création de la FEP, il a été membre du bureau de notre association pendant plusieurs années et a beaucoup œuvré pour la diffusion et la transmission de la psychanalyse.
Je reviens au congrès de Paris, qu’on a dit « réussi » au vu de l’engagement des orateurs, des nombreux retours et du nombre important de participants. Un congrès orienté par une volonté d’ouverture, qui a donné une pierre d’assise à une rencontre, un dialogue entre psychanalystes, soignants, travailleurs sociaux, artistes… Du congrès s’ensuivit une assemblée, où un nouveau bureau a été élu et des orientations se sont dégagées pour l’avenir de notre institution. Ce congrès et l’assemblée furent l’occasion d’un rappel. Celui de la FEP dans la mission qu’elle s’est donnée de maintenir et promouvoir la psychanalyse comme une priorité absolue. Ce fut aussi l’expression d’une confirmation, celle que l’originalité et la créativité de la Fondation tiennent de sa pluralité. Pluralité des styles et des approches théoriques, portée par cette volonté d’ouverture au-delà des cercles institutionnels analytiques. Portée par cet axiome, que s’il existe un langage propre à notre discipline, un partage de signifiants freudiens et lacaniens, il n’y a pas d’universel du savoir. Il importe également que cette théorie transmise ne soit pas jargon ou dogme, mais continue d’être interrogée, bousculée, en phase avec la subjectivité de notre époque, en phase avec notre clinique, nous rappelant ici que la psychanalyse est avant tout une pratique.
Ce congrès, cette assemblée ont soutenu cet engagement, ce projet, celui de maintenir une psychanalyse qui a partie liée avec l’inattendu, l’inédit, la subversion. Une position si souvent rappelée par Gérard Pommier, celle que la FEP reste un espace de liberté où se trouvent accueillies les propositions de ses membres, les prises de risques, les différents styles, les initiatives, pour laisser place au surgissement possible de la tuché, de la trouvaille.
Pour 2024 :
Lors de rencontres, de colloques, la volonté affichée d’ouverture, de rendre plus accessible nos références auprès des acteurs du soin, de l’éducatif, du social, nous a enseigné qu’il existe une véritable attente, de concepts, d’expériences cliniques, notamment de la part de jeunes collègues. Dans le fil de ce constat, la FEP va proposer très prochainement la possibilité pour des collègues orientés par la psychanalyse, non analystes ou qui en sont sur le chemin, de s’inscrire à la FEP au titre de « Membre Associé ».
Signalons également la tenue de deux colloques FEP à venir. Le premier à Montpellier coordonné par Monique Lauret, Guillaume Nemer et Joseph Rouzel autour de la thématique de la quête du bonheur confrontée au monde d’aujourd’hui. Le second à Madrid intitulé : « Angoisse et dépression dans la clinique psychanalytique contemporaine » coordonné par Marcelo Edwards, Alfonso Gómez Prieto, Alejandro Pignato, Belén Rico.
Rappelons également le soutien de la FEP aux colloques organisés par ses membres, ainsi dans cette période sombre de notre actualité, le soutien pour la 7ème journée d’étude organisée par l’ESMPI et le CMPP de la MGEN à Paris sur le thème « Parcours d’exil, parcours d’intégration ».
Les colloques, les congrès, les séminaires, les cartels, les publications, notre Newsletter vivante coordonnée par notre collègue Aspasie Bali, permettent à la FEP de témoigner d’une psychanalyse en mouvement. Mais pas seulement, c’est aussi participer à la transmission de la psychanalyse dans le social. Dans ce prolongement, un travail de réflexion se met en place pour envisager la publication d’une revue semestrielle, un renforcement des séminaires, des journées d’études, des enseignements et conférences par vidéo.
Peut-être pourrions-nous dire que pour 2024, nous allons faire nôtre au sein de la FEP, ce que Lacan reprenait de Freud dans sa soif de vérité, il y a tout juste 60 ans : « – Quoi qu’il en soit, il faut y aller- parce que quelque part, cet inconscient se montre. »
Le nouveau bureau de la FEP se joint à moi pour vous adresser pour vous-mêmes et pour vos proches nos meilleurs vœux.