Édito de juin 2022 par Jean-Marie Fossey

Président de la FEP

À l’instar de Pierre Rey qui proposait en 1989 « Une saison chez Lacan« , aujourd’hui le duo de cinéastes Eric Toledano et Olivier Nakache nous invitent pour « Deux saisons chez Dayan« . Nakache et Toledano en adaptant la série israélienne « BeTipul », réalise avec « En thérapie » une série plébiscitée par plus de 50 millions de vidéos vues sur arte.tv pour la saison 1, et la saison 2, avec ses plus de 20 millions de vue aujourd’hui, est en passe de battre une fois plus un record d’audience. Bien sûr, il s’agit d’une fiction, d’une simulation de cure. D’ailleurs certains collègues ne manquent pas de souligner que le psychanalyste parle trop, interprète trop, que la temporalité des séances est trop condensée, que Philippe Dayan est un psy trop pris dans un désir de sauveur, que le cadre analytique souffre de nombreux coups de canifs.

De leurs côtés, les auteurs ne sont pas sans en convenir, il faut maintenir un rythme pour provoquer l’intérêt du téléspectateur. Autre impasse filmer une cure, Arnaud Desplechin, un des réalisateurs de la saison 2, disait à ce propos sur France culture : « Quand vous filmez de la psychanalyse, ce qu’il en reste c’est de la psychothérapie, il y a un mystère qui appartient à la psychanalyse, que le cinéma n’est pas capable de capter. » 

 Soit ! Mais pourquoi devrions-nous bouder les effets de l’exploit de cette série. Une série qui remet sur le devant de la scène l’inconscient, la sexualité, le transfert. Et ceci d’autant plus, à l’heure où la psychanalyse est une fois de plus menacée, avec l’essor des neurosciences et l’importance prise par la psychopharmacologie. Avec ses millions de spectateurs, convenons que cette série a le mérite de lever le voile sur l’existence du savoir non su, sur ce qui peut bien se dérouler dans le cadre intime de ce colloque singulier, ne manquant pas au passage de faire vibrer une part de fantasme voyeuriste. Cette série a aussi le mérite de faire saisir les aléas, les impasses du désir, l’importance des silences, de l’histoire passée et surtout les effets et les pouvoirs de la parole. En mettant sous les projecteurs le signifiant psychanalyse, « En analyse », cette fiction intelligente redonne, si l’on en croit les retours, des lettres de noblesse à notre discipline trop souvent caricaturée, contestée, remise en cause au nom de supposées « bonnes pratiques ». Cette série a aussi le mérite de rappeler que cette pratique singulière, de plus d’un siècle, n’a pas pris une seule ride, contrairement à ce que l’on peut entendre ou lire, que la psychanalyse pourrait devenir selon la jolie formule de notre collègue Elsa Godard une « coquetterie du dimanche pour vieux érudits ».

Vient alors à l’esprit ce paradoxe : comment peut-on s’expliquer d’un côté un plébiscite télévisuel, expression d’un intérêt manifeste d’un large public pour cette pratique, expression d’un symptôme actuel, celui du manque de temps donné à la parole pour dire la souffrance et de l’autre les nombreuses controverses et les positions d’évictions de la psychanalyse. Le constat est là, aujourd’hui, quand elle n’est pas frappée d’exclusion des tribunaux, des universités, elle est devenue pour certains une pratique dépassée, surannée, réactionnaire, une pratique à réfuter, à oublier.

Avançons quelques hypothèses. Au nom de quoi la psychanalyse se légitime-t-elle ? Quel est le guide de cette pratique ?

La réponse freudienne est claire et sans équivoque, en 1923 Freud écrit « or nous réclamons aussi que quiconque veut exercer l’analyse sur d’autres commence par se soumettre à une analyse ». Pour la pratique de la psychanalyse, un point de repère essentiel : l’expérience personnelle de la cure pour le psychanalyste, « Il n’y a pas de formation du psychanalyste, il y a des formations de l’inconscient ».

Il ne s’agit pas non plus d’ignorer la place nécessaire de l’enseignement théorique, de la théorisation. Si l’on convient, qu’il ne s’agisse pas d’un enseignement dogmatique, tel un texte sacré auquel on ne touche pas. Gageons à profit sur un enseignement en work in progress, un enseignement traversé par les questions de notre époque. Il ne viendrait pas aujourd’hui, à l’idée d’un psychanalyste de proposer de s’appuyer sur la position féminine d’un Freud écrivant à Martha en 1883, que l’idéal de la féminité devrait se réduire à « la paisible activité » du foyer. Ou encore que la vision de la femme de 30 ans « effraie, par sa rigidité psychique et son immuabilité. »

Un enseignement en work in progress dans les pas de Freud, bien évidemment, mais un Freud qui à plusieurs reprises a remanié les concepts avancés en fonction des difficultés nouvelles qui apparaissaient. Pour Lacan la psychanalyse était aussi une pensée en mouvement. Son retour à Freud en témoigne, un retour qui a redonné son tranchant à la psychanalyse, une véritable réinvention de la doctrine, une révolution diront certains. Tout comme pour Freud, il importe assurément que ce savoir ne soit que provisoire, toujours réinterrogé. Un savoir qui se réinvente, un savoir enseigné au fil du discours des analysants que nous recevons. Rappelons ici ce qu’écrivait Lacan en 68 « Qu’elle se veuille agent de guérison, de formation ou de sondage, la psychanalyse n’a qu’un médium : la parole du patient. » La série « En thérapie » semble bien valider cet aphorisme. 

Aujourd’hui c’est la théorie du genre qui divisent les analystes, comme il en avait été de même en son temps pour l’homosexualité, le PACS, le mariage pour tous, l’homoparentalité. Lors d’une intervention à un congrès d’analystes, une collègue écrivait que le philosophe Paul B. Preciado a jeté « un pavé dans la mare d’une psychanalyse aux cadres vieillissants, révélant ainsi la nécessité politique de faire évoluer la discipline. »   

Mais pourquoi faudrait-il que la théorie psychanalytique, rejette ou non la théorie du genre ? Pourquoi serions-nous pour ou contre les mouvements Queer ? Pourquoi devoir, par des forçages, trouver que cette question était déjà en germe dans l’enseignement de Lacan ?

Après tout, nos propositions, nos discours ne doivent-ils pas rester des hypothèses de travail. Des hypothèses portées par certains, réfutées par d’autres.Sans oublier que la psychanalyse est avant tout une pratique. Une pratique réglée sur le jeu du défilé des signifiants d’un analysant, une pratique de ce métier impossible, celui du psychanalyste, qui accueille la prise de parole, au-delà de ce qui est dit.

Après tout, lorsque que nous recevons une demande d’analyse, ce n’est pas recevoir un homosexuel, un transgenre, un hétérosexuel… mais bien un sujet qui vient faire un bout de chemin pour être un peu plus éclairé sur ce qui le traverse. Une demande d’un complément d’être, avec un analyste qui guérit moins par ce qu’il dit et fait que par ce qu’il est. In fineun véritable travail d’engagement pour la cure.

 

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