Édito de novembre 2022,  par Jean-Marie Fossey

président de la FEP

Et maintenant ?

L’actualité de la guerre, de la criminalité, des répressions d’état, des violences sexuelles, des violences de l’insulte, de l’humiliation, du mépris s’affichent à la une de nos journaux. Violences collectives, individuelles, une actualité qui montre l’ampleur du phénomène. Il faut bien en convenir la violence traverse le temps, les cultures, les groupes sociaux.
Pourquoi ce besoin de ravager, de détruire, parfois même jusqu’à la barbarie, dont la philosophe Simone Weil soulignait ce caractère permanent et universel de la nature humaine ?
La philosophie, le droit, la sociologie, les neurosciences apportent leurs réponses.
Mais Comment saisir ces actes, ce réel qui désorganise le lien social, sans la lecture freudienne de la pulsion. Comment interpréter la brutalité de la violence, les actes de maltraitances, les violences sexuelles, l’humiliation, la haine, sans l’hypothèse de l’inconscient.

C’est autour de ces questions que vient de se terminer notre dernier colloque FEP sur Caen « Violences, passages à l’acte qu’en disent des psychanalystes ? » Près de 450 inscriptions, étudiants, psychologues, travailleurs sociaux, psychiatres, chef de pôle de psychiatrie, infirmiers, avocats, urbaniste, artistes, enseignants, sociologues, médecins ont été au rendez-vous pour cet événement.

Deux jours d’interventions ouvertes, accessibles, deux jours où sans relâche des communications se sont succédées, avec la présence de figures éminentes de la psychanalyse d’aujourd’hui, en France et à l’étranger. Deux jours où face à la clinique de la violence, du passage à l’acte, psychanalyse, littérature, cinéma, théâtre se sont conjugués pour mieux faire saisir ce qu’est le vif de la psychanalyse, faire saisir un pan de cette pratique subversive, cette pratique qui ouvre la voie selon l’aphorisme lacanien au « ça parle à qui sait entendre. ». Ces journées furent pour les analystes présents, celui de la transmission de leurs théorisations mais aussi de leurs expériences, dans le fil de ce leg de Freud, que Lacan épinglait avec cette formule « le savoir de Freud, c’est-à-dire son expérience. ».

Bref un véritable espace de transfert de travail ! Avec visiblement une jeune génération en attente d’une réponse psychanalytique non-dogmatique, un savoir issu de l’expérience. Un colloque très suivi et des retours très encourageants pour poursuivre.

Et maintenant nous pourrions nous assoir un instant pour nous satisfaire de cette réussite, mais la psychanalyse continue de subir des coups de boutoir. La rhétorique du discours de la science, de la biologie, continue de s’imposer. Comme nous en avions parlé, ce fameux programme « PROPSY » va voir le jour avec ses 80 millions de dotation. Une dotation pour un programme centré essentiellement sur les recherches en neurosciences et en intelligence artificielle avec des programmes de formation pour « créer une nouvelle génération de scientifiques et de soignants en psychiatrie ». Tout cela, il faut bien en faire le constat, ne laisse pas beaucoup de place pour le sujet de l’inconscient. Sans parler de ce mouvement lent mais continu des liquidations de l’enseignement de la psychanalyse en université de médecine, de psychologie au profit des sciences cognitives. Et son incidence sur la place laissée à l’orientation analytique dans les institutions psychiatriques, éducatives…

Pourtant nous le savons, par une longue expérience, ce que la psychanalyse peut apporter au service de notre société, pour lutter contre la souffrance psychique (deuxième cause « d’invalidité dans le monde », selon une étude de l’Organisation Mondiale de la Santé).

Au sein de la FEP nous avions alerté de cette situation par une lettre adressée aux candidats à l’élection présidentielle puis aux candidats aux élections législatives. « La lettre aux candidats » a recueilli près de 2500 signatures. Une lettre, pour redonner sa place à une psychiatrie pluridisciplinaire, apporter une autre réponse à la biologique et comportementale. Une lettre pour s’opposer à la disqualification des métiers de l’écoute, comme ce qui se passe aujourd’hui pour les psychologues, ou encore la disqualification des chercheurs en psychanalyse. Une lettre pour dénoncer la violence exercée contre les plus âgés, en finir avec une sélection abusive des enfants dès l’école. Une lettre qui donne sa place à la diversité sexuelle et de genre, sans oublier de soulever les problèmes posés par les exilés et les réfugiés victimes de traitements inhumains. Une lettre qui prend la mesure de toutes ces nombreuses affaires d’incestes pédophiliques.

Cette lettre, elle doit être reprise, améliorée pour être envoyée, défendue et devenir avec le soutien d’autres collègues, d’autres institutions, une base de travail à l’adresse de nos parlementaires pour donner lieu à un projet de loi présenté à l’Assemblée par un nombre suffisant de députés ou de sénateurs.

Dans le fil de ces propositions, pour prendre ou reprendre cette place d’interlocuteurs incontournables des instances décisionnelles, la remise en mouvement du « Groupe de Contact » est assurément une priorité.

Parmi les activités de la FEP à venir pour cette année, retenons le colloque « Erotismo & Feminidad » organisé par notre collègue et vice-présidente de la FEP Cristina Jarque, du 16 au 18 décembre 2022 à Madrid. Cet événement abordera la question de l’érotisme et de la féminité, du lien entre érotisme et pulsion de mort cher à Bataille, du lien entre érotisme et jouissance rencontré dans notre pratique d’aujourd’hui.

Au terme de cet éditorial, au nom du bureau de la FEP, nous tenons à exprimer nos condoléances à la famille de Charles Melman et à nos amis et collègues de l’Association Lacanienne Internationale. C’est la disparition d’une figure éminente de la psychanalyse, il était le co- fondateur avec Gérard Pommier, Moustafa Safouan et Claude Dumézil en 1991 de notre Fondation Européenne pour la Psychanalyse.

Facebook
error: Contenu protégé