Édito d’octobre 2019

par Gérard Pommier

Dans une société en pleine ébullition, la psychanalyse est une sorte de forteresse, à base de repli, le lieu où une parole inédite se délivre, prend des forces, se murmure, se propage. Avons-nous des « patients » aujourd’hui? Ce sont plutôt des « impatients »! Ils viennent moins pleurer que pour se libérer. A nous d’en répondre.Aujourd’hui, les concepts de la psychanalyse font partie du vocabulaire ordinaire ; Freud reste cette figure toujours attaquée et toujours renaissante ; le nombre des « Psychanalystes de terrain » s’accroît et, grâce à eux, la vie se libère de la souffrance psychique, qui est la principale pathologie de notre pays. Bien des associations psychanalytiques sont en effervescence positive, et s’interrogent sur leur devenir devant les résistances externes et internes que rencontrent le discours psychanalytique : c’est irrémédiable, le discours du Maitre lui est contraire.La Fondation Européenne n’est qu’un petit réseau d’un peu plus de deux centaines de membres (sans compter ceux qui n’ont pas payé leur modeste cotisation). Presque sans l’avoir cherché, l’histoire a poussé la FEP a l’épicentre des bouillonnements actuels, en réunissant des praticiens expérimentés des quatre coins de l’Europe, et venant d’associations fort diverses. Chacun y écoute des points de vue hétérogènes. Aucune Doxa n’est favorisée par rapport à une autre. La Fondation facilite seulement les échanges, seuls garants du progrès de la théorie, car la psychanalyse est une jeune fille qui fait ses premières armes, non sans grincements de dents, il est vrai. En témoignent des débats souvent abrupts : la scientificité ; la génétique et son eugénisme latent ; les racines du racisme ; le geste artistique de la pratique qui n’a rien d’une technique, mais réclame un « désir averti ». Ce dernier ne marche jamais au pas. Débat aussi sur le sens politique de la Massen psychologie. Controverse sur les libérations sexuelles de notre temps et les multiples genres qui sont sa marque de fabrique. Bref, presque toutes les questions cruciales ont été et sont l’occasion de débats. Car les grands pionniers qui nous inspirent : Freud, Lacan et quelques autres ignoraient ce qui arrive aujourd’hui, qui nous précède, et dont nous sommes les serviteurs attentifs.La Fondation ne forme pas des Psychanalystes : c’est ridicule. Les analystes se forment grâce à leur analyse et aux contrôles. Si d’aventure une association prétend les former, elle les déforme, c’est tout. Elles tuent leur style propre, seule arme de la cure et en font les esclaves du discours du Maitre. A cet égard, les analystes sont égaux entre eux, puisqu’ils « ne s’autorisent que d’eux-mêmes ». Un principe de gestion démocratique devrait donc être la solution la plus simple et la plus élégante à l’antinomie du discours du Maitre et de l’analyste dans les associations. C’est une solution aussi efficace que « La passe ». Lacan l’a proposée en 1967, justement pour subvertir le discours du Maitre. Ce fonctionnement démocratique existe déjà dans quelques associations comme la SPP(la plus nombreuse en France). Elle sera mise en discussion au prochain congrès de Palerme, où chacun pourra se présenter aux différentes responsabilités. Les votes décideront.Les forces de la Fondation sont petites, mais nos propositions suscitent de l’intérêt. Plusieurs centaines de personnes sont venues au colloque de Caen, et à celui sur François Dolto à Paris. Le récent colloque organisé à Beyrouth par notre amie jeannette Daccache a réuni plus de 400 personnes (avec d’autres associations). L’amphithéâtre de l’assemblée nationale était plein lors du colloque organisé par Maavar sur les violences. Y ont pris la parole trois membres de la Fondation. Gorana Bulat Manenti a traité des violences faites aux enfants. Qui le sait ? Un enfant est tué tous les trois jours. De pseudo neuroscientifiques ségrèguent les enfants à l’école avec le faux diagnostic de TDAH. Ces violences deviennent plus claires pour qui connaît le fantasme « On bat un enfant », découvert par Freud. C’est la responsabilité de l’analyste de le dire, et en ce sens large, il a un rôle politique, non pour lui-même, mais pour la société. Laure Westphal a développé les conséquences du discours de l’université lorsqu’il est perverti, et que sa violence concerne surtout les femmes. D’autant plus perverti que la psychanalyse sert de prétexte. Pour ma part, j’ai fait une hypothèse sur les racines de la violence. Elles me semblent s’originer dans l’interdit de l’inceste, qui fut pour la première fois promulguée par Moïse (elle ne l’est toujours pas dans le Droit français). En découle en cascade l’anti judaïsme, le racisme, les violences faites aux femmes, et ce qu’il se passe dans ces temples du Savoir que sont les universités.Demain, Palerme, Beyrouth. Après demain Madrid ! Bientôt peut être, Marseille et Bordeaux. La Fondation fait au mieux pour relever les défis de notre époque, qui aspirent à la démocratie et aux échanges à égalité. Nous sommes quelques-uns à penser que les Psychanalystes ne sont pas des extraterrestres. En tous cas, la psychanalyse telle qu’elle apparaît aux yeux de la société devrait sans doute s’adapter, et même changer.

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