Édito de septembre 2022 par Jean-Marie Fossey,

président de la FEP

« Écrasons l’infâme », c’est par cette formule célèbre que Voltaire, ce philosophe des lumières engagé dans la lutte contre l’intolérance terminait ses innombrables
lettres. Ce cri de guerre, comme l’écrira Flaubert, ne devra-t-il pas devenir le nôtre pour s’engager, s’opposer plus fermement contre ces positions, ces actes d’intolérance qui visent à ignorer, disqualifier, rejeter l’importance du rapport de l’homme à la parole.

Nous apprenons par nos collègues du collectif
« Manifeste des Psychologues cliniciens et des psychologues psychothérapeutes » qu’une fois encore en France les
« métiers de l’écoute » de la parole du patient reçoivent un violent coup de griffe de la part des autorités administratives. Une fois de plus les psychologues sont sous le coup d’une mesure de disqualification. Tout récemment l’INSEE a modifié le code d’inscription de cette profession. Rattachée auparavant dans la catégorie des « activités de santé humaine » (code 8690F), elle se voit reléguée dans la catégorie des « autres services personnels » (code 9609Z), regroupant les activités des astrologues, des spirites, des agences de rencontres, des tatoueurs, etc.
Aujourd’hui pour être inscrit avec le code 8690F et reconnu comme psychothérapeute, selon cette nouvelle mesure pour l’INSEE, il faut être « supervisé par un médecin », en d’autres termes inscrit dans le fameux dispositif gouvernemental « Monpsy ». Si cette mesure se confirme, au-delà de renforcer la disqualification de cette profession, c’est surtout une remise en cause pure et simple de la loi sur l’usage du titre de psychothérapeute. Cette loi qui légitime le droit d’usage du titre de psychothérapeute aux psychiatres, psychologues cliniciens et aux psychanalystes non-psychiatres ou non-psychologues cliniciens enregistrés régulièrement dans un annuaire d’association de psychanalystes. Pour poursuivre, je vous renvoie au texte de Roland Gori : « Les psychologues dans la toile d’araignée des nudges du gouvernement ».

Si cette menace pèse sur les pratiques des psychologues, à n’en pas douter elle pèse plus largement sur toutes les pratiques qui s’appuient sur le fondement de la parole. Sans tomber dans le discours alarmiste, les clignotants sont nombreux pour mériter notre attention et celle de nos institutions psychanalytiques. Ainsi dans la suite des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie de septembre 2021, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a annoncé le 18 juillet 2022 « un effort inégalé pour la recherche en psychiatrie en dotant de
80 millions d’euros sur cinq ans, le programme PROPSY ». Certes une dotation « généreuse », mais une dotation pour un programme centré essentiellement sur les recherches en neurosciences et en intelligence artificielle ; en témoigne ce communiqué qui précise que « l’Inserm et le CNRS ambitionnent de développer la psychiatrie de précision pour révolutionner le diagnostic de ces troubles et la prise en charge des patients. ». Côté formation des soignants, ce programme prévoit de « créer une nouvelle génération de scientifiques et de soignants en psychiatrie ». Ce qui semble bien signer qu’il est peu probable que la théorie analytique reste une référence possible. Autre clignotant, ce fameux rapport de l’Académie Nationale de Médecine de début janvier qui redéfinit l’organisation des psychothérapies. Un rapport qui, dans une volonté de subordination, ne vise rien de moins que la mise sous tutelle médicale des psychothérapies.

Ajoutons à tout cela, ces débats autour des transidentités, où la psychanalyse serait montrée du doigt pour ses postions réactionnaires, rétrogrades, engoncés dans des dogmes. Faut-il rappeler que la parole, l’écrit d’un analyste n’engage que lui, les psychanalystes sont pluriels, leurs points de vue également. La psychanalyse, elle reste avant tout une pratique du cas par cas, une pratique d’écoute de la subjectivité.

Ces évènements, ce contexte actuel de dénigrement de l’invention freudienne, nous rappelle l’intérêt majeur d’un incontournable engagement du psychanalyste et de nos institutions.
Un engagement bien évidemment dans la pratique de la cure, pas de cure sans celui-ci. Un engagement pour ne pas reculer face aux cliniques plus délicates, comme celles de l’acte, de la psychose. Un engagement pour s’affranchir de toute doctrine élevée au rang de dogme, pour pouvoir ainsi continuer à élaborer, inventer à partir de ce que la cure apporte d’inouï. Un engagement politique sur ce que traverse notre monde et plus particulièrement sur ce qui menace notre leg freudien. Un engagement pour transmettre ce savoir analytique, par l’écriture, les colloques, les séminaires, les enseignements. Mais pas seulement dans le sérail de nos institutions, un engagement pour une sortie d’un entre soi, pour un discours psychanalytique dans le social, pour ne pas abandonner notre langage aux langages de la rationalisation techniques et scientifique qui s’instituent et se voudraient devenir l’unique référence.

Un engagement à plusieurs, pour « écraser » cet « infame » qui nous guette, Barbara Stigler en début 2020 rappelait qu’il y toujours bénéfice et nécessité de se mettre à plusieurs, « convaincus que le savoir ne capitalise pas, mais qu’il s’élabore ensemble et dans la confrontation conflictuelle des points de vue. ». Un engagement à plusieurs qui rappelle l’importance des regroupements aussi bien des analystes que de leurs associations.

C’est dans cet esprit d’engagement, de transmission de la psychanalyse que va se faire notre rentrée institutionnelle au sein de la F.E.P. avec un premier colloque à Caen, les 14,15,16 octobre 2022. Le thème en sera celui des violences et des passages à l‘acte ; volontairement une mise en lumière sur cette clinique au cœur de la pratique de la cure, mais aussi au cœur de la pratique des soignants, travailleurs sociaux, psychologues pour qui ce savoir freudien est, ou sera une précieuse boussole.

Avec le soutien de plusieurs figures de la psychanalyse d’aujourd’hui, un colloque à l’adresse du plus grand nombre avec ce souci de témoigner que notre pratique et nos théories ne sont pas, contrairement à ce que voudraient nous faire croire certains, à reléguer au rang des curiosités culturelles d’un autre âge, mais bien vivante et créative. Un colloque déchanges, de témoignages pour élaborer un travail de pensée, dans la droite ligne de la transmission de ce lieu d’écoute de la parole « dans sa dimension de vérité », pour reprendre l’expression de Lacan. Une transmission à la manière de ce que Freud aimait reprendre chez Goethe, qu’un héritage ne suffit pas, il faut se l’approprier : « Ce que tu as hérité de tes ancêtres, acquiers-le pour le posséder. »

Ce colloque sera précédé d’un temps de rencontre entre des étudiants des UFR de psychologie, des facultés de médecine, de psychiatrie, des Instituts de Formation en Soins Infirmiers, des Instituts des travailleurs sociaux et des psychanalystes, sur l’avenir de la psychanalyse.

Parmi les manifestations FEP annoncées, du 16 au 18 décembre un colloque sur « Erotisme et féminité » se déroulera à Madrid. Notre vice-présidente Cristina Jarque organisatrice de cet événement nous en parlera dans un prochain édito.

Un autre événement d’importance sera celui du congrès de Convergence du 24 au 27 mai 2023 à Barcelone. Le thème retenu : « Quelle éthique pour la pratique psychanalytique aujourd’hui ? », Marcelo Edwards et Hélène Godefroy, responsables des relations extérieures attachés au bureau de la FEP, sont les coordonnateurs de ce congrès.

A retenir, les 7 et 8 juillet 2023, notre président d’honneur Luigi Burzotta organisera à Mazara del Vallo, deux journées d’étude en l’honneur de Moustapha Safouan.

error: Contenu protégé