À propos de la « Formation » de psychanalyste :

Pourquoi fais-tu ça ?

 Depuis sa création il y a quelques dizaines d’années, j’ai participé au «Groupe de contact», qui réunit la plupart des associations psychanalytiques françaises. A une récente réunion, Colette Soler a demandé à Gorana Bulat Manenti si la Fondation Européenne assurait la « Formation du psychanalyste ». Comme je le lui ai répondu, aucune association psychanalytique n’assure la « formation du psychanalyste » : elle dépend uniquement de sa propre analyse, et des « contrôles ». Les associations ne font que garantir après coup une formation qui ne dépend pas d’elle. Mais elles le font sur leurs critères qui sont parfois discutables (par exemple jusqu’à récemment à l’IPA, il était impossible d’avoir le titre de psychanalyste pour un homosexuel (un de mes analysants en a fait l’expérience en France.) La Fondation peut donc « garantir » le bien fondé du titre d’analyste de ses membres, consignés dans son annuaire. Lorsqu’ils adhèrent à la Fondation, ceux qui le demandent ont « fini » leur analyse depuis longtemps, ils ont fait des contrôles, ils ont souvent derrière eux une longue pratique et sont déjà membres de diverses associations dans plusieurs pays d’Europe. Les deux analystes qui parrainent chaque adhésion ont comme rôle de vérifier que ce parcours a bien été accompli.

De plus, la Fondation a une longueur d’avance sur la plupart des autres associations : c’est qu’elle n’a pas de Doxa propre. Ses membres se recrutent dans des courants assez divers, qui n’ont pas le même Credo. Est-ce le signe d’un éclectisme peu recommandable ? Les grands scientifiques sont plus prudents: la théorie ondulatoire de la lumière est vérifiée expérimentalement, alors que la théorie corpusculaire qui lui est contraire l’est également ! Je connais au moins un exemple : celui d’un analyste qui a fait une bonne partie de son parcours avec un Jungien. Il a pu faire un travail approfondi, simplement parce que son analyste restait à l’intérieur de ce qu’il disait, sans l’assommer avec sa théorie. Les théories viennent toujours « après-coup » a écrit Freud : ce sont seulement des performatifs, qui permettent de parler d’un inconscient qui – par définition – résiste à la logique. La conformité à une Doxa ne peut être la règle, comme c’est le cas à l’I.P.A., où il faut avoir été analysé par quelqu’un de la Maison pour prétendre à un titre. Et c’est aussi le cas dans beaucoup de cercles lacaniens, où il faut avoir son « objet a » en poche, son moment de « destitution subjective » etc., pour être accrédité. Donc, nous garantissons à bon droit le titre, au seul constat des résultats. Cette garantie a beaucoup d’importance du point de vue de notre inscription dans la Cité. Le titre de psychanalyste n’est reconnu par la Loi française que par une toute petite phrase glissée de manière biaisée dans la loi sur les psychothérapies: sont dispensés d’une formation appropriée ceux qui sont « régulièrement inscrits dans l’annuaire d’une association psychanalytique ». Il n’en a pas été de même dans d’autres pays d’Europe : En Italie par exemple, les psychanalystes doivent obtenir un titre de psychothérapeute pour exercer à bon droit (c’est le contraire de la France). L’avenir légal de la psychanalyse est à cet égard incertain et fragile. Tout dépendra de l’éthique des associations, ce qui n’est pas gagné. Une fois ordonnés en groupe, les psychanalystes ont une certaine tendance à croire qu’ils sont au-dessus des lois. La démocratie les fait sourire, ce qui ne leur laisse d’autre choix que l’attrait pour la Horde primitive, sous la feuille de vigne d’une théorie standardisée.

Reste une question incontournable, celle du passage de l’analysant à l’analyste. Lacan a eu ce trait de génie de baptiser ce moment, qui est à la fois interne et externe à l’analyse (en lui-même, il n’a pas de rapport avec l’Institution). Comme pour toutes les grandes découvertes – au moins dans son vocabulaire – Lacan a employé des termes encore approximatifs, dans la proposition de 67. Par exemple, il y a un certain flottement entre la « fin de l’analyse » et le moment de « la passe » (de l’analysant à l’analyste). L’expérience montre que lorsqu’un analyste s’installe, il continue son analyse (ou même il la commence). Ce sont des moments bien distincts. Et puis la « fin » elle-même est décrite par Lacan en des termes qui demandent à être éclaircis. Pour ma part, je n’ai pas de moment de « Désêtre », je ne tombe pas de ma chaise comme un « objet chu », lorsqu’un analysant me dit que ça va bien comme ça et qu’il se débrouille. Je suis plutôt content pour lui, et pas mécontent de moi. Lacan l’a dit lui-même, du point de vue institutionnel « La passe est un échec ». Les associations qui ont poursuivi l’expérience l’ont constaté aussi. Elles ont pourtant persévéré, car proposer « la passe » est une façon de légitimer une filiation lacanienne. Cela ne peut pas marcher, car l’institution répond plus ou moins au modèle de la horde primitive et cherche à se réclamer d’une filiation orthodoxe : « la passe » n’est donc en aucun cas au centre de son dispositif : voilà ce qu’il est possible de garantir : c’est un échec du point de vue institutionnel ! Pourtant, c’est un fait, la passe est pour l’analysant un moment irremplaçable, qui demande à être entendu. Au moment où cela se produit, il ne peut pas être entendu par l’analyste, puisque cela reviendrait à poursuivre son analyse. Il faut une oreille extérieure pour entendre ce moment de bascule de quelqu’un qui parle, non plus comme analysant, mais déjà comme analyste. Mais pourquoi veut-il faire ça ? Beaucoup d’analystes pensent que leur désir est distinct de celui de la commune humanité. Mais non ! Comme pour tout le monde, il a ses racines infantiles (un enfant pyromane devient pompier, un enfant battu devient sadique etc.) Celui qui veut devenir analyste a d’abord voulu soigner sa mère, son père, calmer ses ardeurs pour sa sœur etc. Au moment précis où il pourrait découvrir le fond le plus terrible : c’est-à-dire que le désir incestueux qui a pesé sur sa vie en famille, est son propre désir, il ne veut surtout pas le savoir ! Il préfère se mettre à soigner les autres plutôt que de se soigner. Le voilà qui s’installe, le plus souvent sans le dire à son analyste (c’est arrivé plusieurs fois dans ma pratique). Il aurait fallu qu’il puisse parler en dehors de son analyse, de ce qui lui est pourtant interne. Le problème est posé, mais je n’ai pas de solution. Peut-être la Fondation pourrait-elle proposer quelque chose à ce sujet, si le Bureau en est d’accord. Cela pourrait être discuté au Congrès de Palerme, de même que de l’amélioration de notre démocratie, en faisant en sorte que tous les membres puissent voter pour les élections des responsables. Ce serait facile grâce à internet. Seule la démocratie permet de sortir de la horde primitive.

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