Édito par Gorana Bulat-Manenti
décembre 2018
En cette fin de décembre, les décorations des fêtes scintillent dans nos villes, parfois au milieu de la fumée des lacrymogènes. Dans la fluorescence des gilets jaunes, dans le flottement des drapeaux violets, des milliers de femmes et d’hommes manifestent en France pour une société plus juste. Les manifestations contre l’oppression n’ont-elles pas un sens sexuel, du moins si l’on croit le fameux mathème du « Discours du capitaliste ». L’année 2018 s’en va. Elle emporte avec elle une part d’un monde révolu et annonce que les défis neufs sont devant nous.
Nous voilà quittes avec une année où la Fondation européenne pour la psychanalyse, à travers des colloques organisés en France, en Espagne, en Italie, en Argentine, au Brésil, au Liban, en Angleterre, etc., a osé des débats innovants, dans un espace de liberté de parole et d’invention. La psychanalyse ne mérite-t-elle pas de se débarrasser des ambivalences lourdes du deuil de nos aînés ? Il est temps que le passé passe enfin, et que nous reconnaissions ce que nous apprend une société nouvelle qui a grandi sans nous. Nos colloques ont tiré les leçons d’une expérience de la modernité riche et précieuse et nous les préférerons à la récitation religieuse de dogmes dépassés. Peut-on soutenir par exemple aujourd’hui que « la femme n’existe pas », ou que « le père est une exception » ? Le grand message de Lacan, dont nous sommes les héritiers, se passe à Marseille de ces ritournelles. Nous mettons-nous en accord avec notre époque et les changements qu’apporte un millénaire nouveau qui plus que tout autre discipline découvre « l’infracassable noyau de nuit de la sexualité ». Elle peut donner des clefs à notre époque, qui s’est métamorphosée à l’aveugle.
Il lui faut évoluer si elle ne veut pas s’éteindre en même temps qu’un ordre patriarcal injuste et répressif, ennuyeux et si étouffant. Nous voyons dans la subversion féminine, porteuse du désir, le principe même qui a permis à Freud de découvrir la psychanalyse avec ses Etudes sur l’hystérie. Est-ce encore l’heure de stigmatiser les homosexuels et de considérer qu’une femme violée est une femme hystérique, une menteuse qui, même sur le divan doit se taire sur ce qui lui arrive et travailler « son fantasme » ?
Plusieurs d’entre nous ont proposé de réfléchir à ce tournant décisif. Notre société l’a déjà fait depuis un moment. La psychanalyse ne doit- elle pas se démarquer en toute connaissance de cause refoulée, de notre aliénation à des impératifs répressifs qu’ils soient familiaux ou sociaux ? Freud et Lacan appartenaient à une époque où les femmes étaient soumises à l’homme, avec si peu de droit d’exister. Aujourd’hui la névrose hystérique n’est plus uniquement du côté de la femme, tandis que l’angoisse du féminin de l’homme et ses conséquences sociales, historiquement vérifiables, restent encore si rarement interrogées.
Notre propre analyse nous a appris à avancer et à nous défaire d’un fonctionnement figé, rigide. Lacan lui-même n’a jamais cessé de changer, et nous lui sommes fidèles en étant infidèles : « faites comme moi, ne m’imitez pas ! » C’est sa leçon que nous reprenons à notre compte. Nous sommes bien conscients que c’est là un chantier qui s’ouvre, qui prendra peut-être du temps, mais nous espérons qu’il rencontrera un écho, pour préciser des positions qui ne sont déjà plus des hypothèses.