Leçons de ténèbres. À propos de Don Juan.

Repenti de Gérard Pommier,
par Joseph Rouzel

Enfin ! Don Juan est mis en examen !

rard Pommier
Don Juan repenti

Il existe lart pour lart,
Pourquoi pas lamour pour lamour ?
Accusatrice, tu parles de lamour davant lamour,
Ou bien de celui daprès,
Ce nest plus lamour ! Cest le tonnerre et lorage,
Qui succèdent à léclair !

Texte de Gérard Pommier pour l’opéra de Jacopo Baboni Schilingi
Éditions le Retrait I

 Leçons de ténèbres. À propos de Don Juan. Repenti, DéMETOOflé, Pardonnné de Gérard Pommier, éditions le Retrait | 2021

Joseph Rouzel

Leçon I – On connait la chanson, cest Lacan qui fit la leçon : un fou qui se prend pour un roi est fou, mais un roi qui se prend pour un roi ne lest pas moins. Même si ledit Lacan se prenait parfois pour… Lacan. Combien de collègues je vois enfermés dans cette cage dorée : ils pensent, lisent, vivent, jouissent psychanalyste. En douce je leur glisse : cest tout le contraire de ce quon attend dune analyse. Le sujet nest pas un, mais assemblage hétéroclite de micassures pulsicolores. Gérard Pommier a retenu la leçon qui lui vient de ses maîtres et dannées dexercice de la psychanalyse : un psychanalyste qui se prend pour un psychanalyste est tout aussi fou. Alors il sessaie sous couvert dautres signifiants. Ça lui donne de la souplesse et de linvention. On la vu récemment sous le drapeau révolutionnaire auprès des Gilets jaunes. Il en a rendu compte dans Occupons le Rond-point Marx et Freud (le Retrait). Il sest essayé de façon éblouissante au commentaire poétique de poètes (La poésie brûle, Galilée). Aujourdhui il tâte dun autre signifiant pour le représenter : librettiste dopéra. En effet il publie dans cet ouvrage le livret quil confie au musicien Jacopo Baboni Schilingi pour un opéra à venir. Celui-ci qui est un ami de longue date de Pommier, lavait rencontré un an plus tôt pour lui parler dun projet intitulé « Carnations ». Ça a sûrement à voir avec la carne, la chair, la viande, bref, le réel du corps. Compositeur précoce né en 1971 : il commence le piano à 6 ans et ses premières compositions datent de la même époque. À 15 il est déjà joué sur les scènes milanaises. Prix de composition au conservatoire de Milan en 1994. Proche de Luciano Berio, branché musique électroacoustique et informatique musicale, il participe à de nombreuses recherches (IRCAM, PRISMA, Anomos…). Une belle pièce enregistrée à lINA : Disparition, où quatre voix traversent et habitent un texte (2006). Depuis 2020 il se «consacre à la production de trois spectacles qui questionnent le corps, ses incarnations sensibles et sociales au XXIe siècle. Le corps, et particulièrement le corps nu, sont au centre des problématiques à la fois plastiques et idéelles de ces trois créations ».

 

Leçon II – En discutant avec Gérard Pommier le musicien développe sa réflexion sur le lien entre numérique musical et corporéité. Ouverture qui fait lien avec le pulsionnel dans ce quen développe Lacan, comme « écho dans le corps du fait quil y a un dire ». Le dire dun corps parlant propulsé par la voix, matière première du musicien. Dans la foulée de Me too, du mouvement Queer, la parole « libérée » témoigne de formes féroces dexclusion sociale. Alors ça ne fait ni une ni deux, Gérard Pommier sempare de lidée dun livret pour une première Carnation sous le titre provisoire de Don Juan libéré. Lui qui a déjà ouvert des pistes avec Lordre sexuel (Flammarion) ou Féminin, révolution sans fin (Fayard), sen donne, si jose dire, à cœur joie. La musique nest pas encore composée, mais le texte prend son envol dans cette publication princeps. Texte baroque, aux confins du surréalisme. Jai pensé par moment à la pièce éblouissante dApollinaire Les mamelles de Tirésias ou bien encore au Désir attrapé par la queue de Picasso, écrit en 1941, en mode de résistance. Mais lépoque nôtre nest pas la même, les choses ont bien changé. Elle sest alourdie des machineries du capitalisme qui nous enserre en ses mâchoires de fer et expose les corps vivants et tout ce quils produisent au règne de la marchandise et du spectacle. Cependant, et cest ce quil clame à la fin du livret, attablé dans une boite de nuit : Don Juan est toujours bien vivant…

Laction reprend là où Mozart et Lorenzo Da Ponte, son librettiste, lavaient laissée. Don Giovanni revisite le mythe de Don Juan, mythe du séducteur puni, et de sa « carnation » sociale. On raconte que le jour de la première, Giacomo Casanova était dans la salle. Il aurait servi de modèle et aurait même collaboréau livret. Dernière scène de lacte II :

Don Giovanni est à table.

Les musiciens interprètent des airs dopéra. Elvira fait son entrée et tente de persuader Don Giovanni de se repentir (« Lultima prova »). Don Giovanni lui rit au nez. (« Vivan le femmine »). En sortant de la pièce, Elvira pousse un cri de terreur. Leporello accourt, va voir ce qui se passe dans le couloir et pousse aussi un hurlement : on entend les pas lourds du Commandeur qui sapproche et frappe à la porte. Leporello refuse de lui ouvrir mais Don Giovanni sincline. Le Commandeur entre (« Don Giovanni, a cenar teco ») et reste debout. Il invite Don Giovanni à dîner. Celui-ci accepte et lui serre la main quil lui tend pour le saluer. Le Commandeur lui ordonne de se repentir (pentiti…), Don Giovanni fait la sourde oreille. Le Commandeur sort de la salle et Don Giovanni sombre dans les flammes de lenfer…

Dans le texte de Pommier, sur le fond de scène, on voit le Commandeur se transformer en juge féminin. La scène souvre sur une salle de tribunal. Les témoins sont appelés à la barre. La haute figure historique du féminisme Téroigne de Méricourt est la procureure générale : « Lheure a sonné de rendre des comptes de tes crime ! ». Et elle énumère les détails du réquisitoire : impie, briseur de lordre éternel incarné par le Pape, maltraitant des femmes, attentant à la vertu et en plus : « … tu te fais gloire de ce Mal ». Don Juan se défend habilement : « Tandis que tu ameutes tes sœurs, entrain de crier Me too, le souvenir de ta chaleur et ta peau memporte… Que mimporte dêtre traité de délinquant et de paria…». Je ne veux pas dévoiler plus avant la teneur de ce livret somptueux et jubilatoire que lecteur aura tout loisir de découvrir. Gérard Pommier va convoquer par le bais de laccusatrice publique, à charge et à décharge, des grandes figures de lhistoire. Émile Zola intervient en premier pour dénoncer une « nouvelle inquisition ». Suivront Œdipe, Spinoza, Casanova, Médée, Don Quichotte, Akhenaton, Saint Thérèse, Descartes, Freud, Faust, Galilée, Dante, Marx, Mao Tsé-toung, Che Guevara (Je cite au hasard, il y en a bien dautres). Laction se déroule sur quatre actes. Et tout ça pour quoi ? Marx donne la clé à la fin du quatrième acte : les femmes sont les prolétaires des prolétaires, « car, ne loubliez pas, la femme a été la première esclave ». Mais si, comme il lénonce dans le Manifeste : société civile-bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classe, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous » (Marx, Engels, 1848) ; on peut penser que le féminin objecte singulièrement au capitalisme et à ses modes de prédation, en infléchissant un « pastout » (déjà célébré par Lacan), pas tout dans les mots, pas tout dans le masculin, pas tout prolétaire. Alors on peut assurer que dans ce combat Don Juan marche aux côtés des femmes et pas contre. La psychanalyse en restituant à lhystérique sa force de vérité, la fait sortir dun duel à mort : elle na plus besoin de sescrimer à châtrer le maître. Le lien social ne tient que sur les singularités. Alors oui, Don Juan mériterait une statue, lui qui fait lapologie de la puissance de libération du féminin. Et Spinoza de sécrier :

« Le désir est lessence de lhomme » (On entend le son du shofar).

« À la place de lancienne “

Joseph Rouzel
 
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