Éditorial, par Hélène Godefroy

La FEP n’est pas seulement une association, c’est aussi une idée neuve en Europe

 

La Fondation européenne pour la psychanalyse est un espace de recherche et de rencontre internationale qui, depuis sa création, prouve son engagement pour la psychanalyse, démontrant l’efficacité de celle-ci et sa capacité à s’étirer toujours plus en avant. D’autant que le terreau multilinguistique, sur lequel cette association a été fondée, s’augmente d’un échange d’expériences cliniques particulièrement riches et saisissantes, invitant à explorer de nouvelles pistes théoriques. 

Les membres parrainés, psychanalystes européens et sud-américains, mettent en commun leurs différences, constituant un ensemble hétérogène de culture, d’histoire et de langue, partageant ainsi, à chaque rencontre, la singularité de leur approche. Et en dépit de références conceptuelles parfois éloignées, tous se saisissent des formations de l’inconscient, ne perdant jamais de vue le « sujet » dont il est question. Cette synergie rappelle d’ailleurs qu’une cure ne ressemble jamais à une autre et réinvente à chacune de ses séances, à la faveur d’un transfert singulier, l’acte analytique. Or, c’est précisément cette diversité subjective, cheminant en toute liberté entre les membres, qui rend notre institution unique.

Et en effet, notre éthique privilégie l’observation clinique, invitant à la prudence toute théorie « convaincue ». Nous nous défendons de classer le sujet dans des catégories de structures prédéterminées, sinon binaires. Bien au contraire, la Fondation demeure, depuis près de trente ans, un lieu qui autorise l’audace de ses trouvailles. On ose y décoller contre le vent de la Doxa ! On doit d’ailleurs à Gérard Pommier d’avoir eu le cran d’administrer à l’association l’étincelle de la transgression, comme plus-value, en l’occurrence celle de résister à la sacralisation d’une figure maitresse, et donc au discours dominant affublé de ses ritournelles théoriques. 

 De fait, la FEP s’inscrit de plein pied dans la ligne de Jacques Lacan, rappelant que celui-ci n’a jamais imposé à quiconque de s’en tenir à sa doctrine, ni à son système de pensée, et encore moins aux spéculations inflexibles globalisant une clinique sans sujet. Non ! Lui-même s’inscrivait, autour de l’invariant œdipien, dans le sillon freudien, sauvant la métapsychologie de la dérive d’une ego-psychology désubjectivante. Son savoir culturel et la singularité transférentielle de sa pratique l’amenaient, dans ses séminaires, à parler en même temps qu’il pensait. Spontanément, Lacan proposait des thèses à son public, des pistes de réflexion qu’il expérimentait cliniquement pour mieux les remettre en question ensuite, et ceci jusqu’à la veille de sa mort. En vérité, il n’a jamais clos ses découvertes. Son engagement pour la psychanalyse a pérennisé la découverte de Freud, pour ensuite, à la faveur de ses propres fulgurances, se permettre de franchir les limites du savoir inconscient, soutenant l’hypothèse que sa structure est un langage. Sa représentation inédite de la sphère psychique, l’autorisait à inventer de nouveaux concepts, signifiant qui plus est, à ses disciples, qu’une théorie demeure un postulat toujours à réinterroger. 

Cet héritage freudo-lacanien est notre ferment. À la lumière des phénomènes de notre modernité, la structure psychique du sujet « formant un ensemble covariant  » (donc non clos) demeure le terrain privilégié de toutes nos recherches. Lacan œuvrait lui-même dans ce sens en proposant ce texte lumineux, « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien ». Par sa fonction, le psychanalyste « écoute ». Une écoute que nos nouveaux patients nous obligent justement à défaire de tout préjugé. À chaque époque, sa plainte singulière. Et, au risque de bousculer la pensée sociale, les nouvelles formes de souffrance donnent un peu plus de visibilité aux recoins encore obscurs de l’anatomie psychique du sujet. Impossible, donc, de lui coller une théorie figée. Son principe subversif réclame, au fil du temps, de remettre en cause toute certitude. Citons par exemple ce courant impossible à esquiver aujourd’hui : le phénomène transgenre. Au-delà d’une souffrance pubertaire cristallisant l’identité sexuelle en pleine éclosion, que nous apprend en vérité l’adolescence contemporaine sur la binarité des genres ? Qu’il soit homme ou femme, au fond le patient demeure avant tout un sujet à écouter… Et en effet, sommes-nous en mesure d’affirmer qu’un symptôme peut être exclusivement féminin, ou à l’inverse strictement masculin ? Sommes-nous certains d’avoir compris ce que Lacan cherchait à démontrer lorsque l’idée lui est venue de proposer une écriture mathématique de la sexuation ? Rappelons que le transgenre a émergé à son époque (le concept date de 1978). Ce que Freud pensait lui-même des femmes en 1905 n’était plus pour lui d’actualité en 1931. Lui non plus n’hésitait jamais à revenir sur ses démonstrations théoriques. Le symptôme transgenre, revendiqué aujourd’hui par la jeune génération, est une parole subversive de l’inconscient, parmi tant d’autres. Sans l’écoute de cette parole légitime aucune théorisation ne fera acte de vérité. De fait, Freud et Lacan avaient, l’un et l’autre, la lucidité du chercheur de reconnaitre que beaucoup d’axiomes structurels étaient encore à découvrir. Le sujet contrariera toujours les modèles de civilisation par le questionnement psychique qu’il nous impose ! 

Et ce qui nous réunit, précisément, à la Fondation, c’est cette réalité du sujet inconscient, qui ne cesse de nous prendre par surprise. Plutôt que de l’ignorer nous sommes attentifs à toutes les formes de demandes, voire les plus inattendues. 

 Ainsi rattrapée par ces points de fragilité, l’orthodoxie post-lacanienne, attachée à l’influence d’une figure impossible à dépasser, s’éloigne de son apogée (peut être malgré elle) pour peu à peu s’en affranchir. Nul doute que le contexte politique a eu par-là son incidence. L’écho de nouveaux courants de pensée, secouant notre société, force inévitablement au vacillement des dogmes et donne à la pensée analytique un nouveau souffle. 

Au-delà, depuis quelques années, Gérard Pommier, le dernier des quatre, anticipait cette possibilité qui s’offre à une association psychanalytique d’innover encore, et encore, en nous confrontant à un nouvel échiquier institutionnel. Comment, en effet, aborder cette épreuve inédite d’une association « sans chef de file »? Il nous avait préparé à ce travail d’émancipation. Pour la nouvelle génération, et le futur de la psychanalyse, la disparition d’un maitre nous oblige à expérimenter de nouveaux modèles de transfert de travail. Or, contre toute attente, une collégialité institutionnelle s’est naturellement formée, avec le projet de ne jamais renoncer à l’altérité qui nous rassemble et de poursuivre la voie d’une psychanalyse de terrain, qui fut l’un des motifs majeurs à la création de la FEP. 

En réalité, du fait de la disparition des grands noms de la psychanalyse, c’est le monde analytique dans son ensemble qui se retrouve au seuil d’une nouvelle ère, dévoilant le sens même de notre discipline : au regard de la subversion qui l’anime, le futur de la psychanalyse ne pourra toujours se perpétuer qu’à l’écart des sentiers battus. 

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