Éditorial, par Jean-Marie Fossey
Gérard Pommier, déjà un an…
En 1992, à un moment important de l’histoire de la psychanalyse, quatre analystes éminents : Claude Dumézil, Charles Melman, Gérard Pommier, Moustapha Safouan décident de créer un lieu d’échanges et de débats théoriques entre les psychanalystes et intellectuels de différents pays, courants, et écoles psychanalytiques.
Si la FEP doit sa création à la menace d’une réglementation qui pesait sur la psychanalyse au sein de l’union européenne, aujourd’hui encore sa défense reste une priorité. Sous le signifiant de transmission, plusieurs questions se posent à nous : la formation des analystes, la promotion d’initiatives qui regardent l’étude, l’approfondissement, l’interprétation, et la diffusion de la connaissance de l’œuvre de Freud, de Lacan et de quelques autres.
Toutes ces dernières années, c’est à Gérard Pommier que nous devons d’avoir insufflé au sein de cette institution, des lieux de travail où la liberté est grande, où la pluralité trouve sa place, où les décisions doctrinales n’ont pas de prise, où la volonté d’ouverture est nécessaire, pour donner une pierre d’assise à la rencontre, au dialogue entre psychanalystes, mais pas seulement, également entre soignants, éducateurs, scientifiques, écrivains, étudiants, artistes…
Qui a eu l’opportunité, la chance de rencontrer le désir de Gérard Pommier sait qu’il était un psychanalyste attaché à la défense et à l’éthique de la psychanalyse, les questions posées par la pratique analytique ont toujours été au cœur de ses travaux, avec ce souci de continuer à élaborer, inventer à partir de ce que la cure apporte d’inouï, sans cesser d’affirmer que la psychanalyse a une portée politique, jamais éloigné de ce qui fait la subjectivité de l’époque.
Un an après sa disparition, il paraissait important de rappeler ce que nous lui devons dans les orientations actuelles que nous continuons à soutenir au sein de la F.E.P.
La transmission aujourd’hui : « réinventer la psychanalyse »
Il y a tout juste trente ans, le 18 juin 1994 la Fondation Européenne pour la Psychanalyse ouvrait une journée de rencontre sur la formation des psychanalystes à Paris. Une rencontre majeure pour les analystes et la psychanalyse, où il s’est agi de remettre sur le devant de la scène, la transmission, le devenir de la pratique de la cure analytique et l’efficace de cette théorie puissance subversive avec laquelle on ne peut cesser de renouer.
Plusieurs analystes se sont succédés à la tribune des orateurs pour rappeler combien la formation du psychanalyste et sa reconnaissance continuent de faire énigme.
Déjà en 1937, concernant la question de la transmission, tardivement Freud fait ce constat qu’analyser est le troisième des métiers impossibles. Préoccupé vivement par la transmission de la psychanalyse, il laisse ce projet à l’Association Internationale de Psychanalyse. En 1979 dans la revue Ornicar ? Lacan écrit, « Il y a quatre discours. Chacun se prend pour la vérité. Seul le discours analytique fait exception. Il vaudrait mieux qu’il domine en conclura-t-on, mais justement ce discours exclut la domination, autrement dit il n’enseigne rien. Il n’a rien d’universel : c’est bien en quoi il n’est pas matière d’enseignement. Comment faire pour enseigner ce qui ne s’enseigne pas ? ». Cette même année lors du Congrès de l’École Freudienne de Paris sur la transmission, il fait ce constat : « maintenant j’en arrive à le penser, la psychanalyse est intransmissible. C’est bien ennuyeux. C’est bien ennuyeux que chaque psychanalyste soit forcé – puisqu’il faut bien qu’il y soit forcé – de réinventer la psychanalyse… ».
Sans oublier, ce fameux aphorisme lacanien : « Je n’ai jamais parlé de formation analytique. J’ai parlé de formations de l’inconscient. »
Lors de cette journée, chacun des orateurs fit usage de sa différence : pour ne citer que les fondateurs de la FEP, elle donne l’occasion à Gérard Pommier de dire, ce qu’il ne cessera de reprendre : « l’avènement du désir d’un psychanalyste dépendra seulement de sa cure et ne devra rien à l’institution, puisqu’il est clair que s’il existe seulement des formations de l’inconscient, les associations d’analystes ou l’université n’ont aucun rôle dans la formation des praticiens. »
Bien évidemment la psychanalyse ne s’apprend pas dans les livres, répétait Freud, ni ne se transmet sur les bancs de l’université. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne peut pas y trouver sa place.
Le désir de l’analyste, cet x opérant dans les cures, énigme du désir sur lequel s’appuient aussi bien la théorie que la pratique, à sa manière Charles Melman l’interroge : pour l’analyste, « Mais quelle est sa jouissance ? Parce que quand même, pour faire ce qu’il fait, il doit bien y avoir une façon de prendre son pied qui doit être assez exceptionnelle, assez rare et en tout cas étrange puisque ça fait x. ». Une folie a pu dire Lacan.
A Claude Dumézil, nous devons la question essentielle de la formation Work in progress : « Peut-on être un praticien éclairé et consciencieux de l’inconscient sans avoir un regard sur les ressorts profonds de cette pratique, comme si l’on en avait un jour, une fois pour toutes, terminé avec sa formation ? ».
C’est à Moustapha Safouan qu’il revient d’aborder l’histoire et la place des institutions et leurs crises successives. Rappelant que pour qu’une institution fonctionne cela requiert « des analystes dont la formation ne se dégrade pas en ritualisation, ni ne se laisse dévier par les rivalités, les réactions de prestance et la recherche de l’originalité à tout prix, que la psychologie de groupe nourrit. »
Trente ans après, la transmission et la formation des psychanalystes font toujours débat et la question de Lacan reste entière : comment faire pour enseigner ce qui ne s’enseigne pas ?
La plupart des derniers élèves de Lacan disparaissent les uns après les autres, laissant à chacun la responsabilité du devenir analyste. En nombre réunis par fidélité, par amour pour un ou des maîtres de la psychanalyse, s’agit-il de continuer à suivre et à répéter leur exemple. Francis Hofstein bat en brèche cette idée lorsqu’il écrit dans Un amour de Lacan « au lieu de se réduire à n’être que les portes- parole de leurs discours, et visiter leur œuvre comme un monument, plutôt s’abreuver à leur source et tenter, dans la mesure du possible de pas répéter leurs erreurs. »
Dans le fil de cette proposition, sans rompre le lien avec ce qu’ils nous ont transmis, n’y-t-il pas lieu de repenser la transmission ? Au-delà de la cure (expérience de transmission incontournable de la psychanalyse en intension), il nous faut assurément trouver des voies de passe toujours renouvelées, pour tenter de transmettre, de témoigner de l’impossible de notre pratique inouïe, comme de l’énigme du désir de l’analyste. Par surcroît, essayons de continuer à développer une politique institutionnelle de la psychanalyse, tout en maintenant une attention renouvelée sur le fonctionnement de ce lieu de transfert de travail.
La tâche n’est pas mince, où en 2024, à la manière d’un dépouillement d’oripeaux, dans bien des institutions psychiatriques, médicoéducatives, universitaires, on a fait disparaitre les repères de la dimension singulière de la sexualité, la réalité fantasmatique en lien avec la vie pulsionnelle inconsciente, au profit du trouble neurodéveloppemental. Même si les avancées des neurosciences, ne parviennent pas à infirmer, à entamer scientifiquement l’héritage freudien de la découverte de l’inconscient.
Bref, retenons au sein des sociétés analytiques, que la transmission reste une question cruciale, toujours à interroger. Pour notre institution, une question d’autant plus pertinente à poser, à un moment important, celui de la mise en place du statut de membre associé, notamment à l’adresse des nouvelles générations.
Le défi à maintenir : un lieu de transfert de travail ouvert, une fois les règles minimums de fonctionnement posées, l’expérience de l’histoire des institutions plaide assurément en faveur d’un modèle d’organisation le plus simple et le moins structuré. Un lieu ouvert à l’abri des entre-soi des cercles d’analystes, nous savons combien les sociétés peuvent communiquer mal entre elles pour finir, comme le signalait Jean Clavreul, par « adopter chacune un langage qui leur est propre et finalement qui fonctionne comme un métalangage accessible aux seuls initiés et qui devient ainsi un langage de maîtrise. ».
Un lieu Pluriel éloigné des impasses de la pensée unique, du dogmatisme, où les divergences, les contradictions, la multiplicité des discours ont droit de citer. Où les mises à l’épreuve des théories qui fondent nos pratiques sont toujours en mouvement et permettent l’accueil de l’inattendu.
Dans une perspective résolument politique, porte-parole de ce leg laissé par Freud, Lacan et quelques autres, n’est-il pas du devoir de chaque analyste et de sa communauté de continuer à porter témoignage de l’efficience de l’hypothèse de l’inconscient que notre théorie postule, de la praxis de la psychanalyse toujours réinventée à l’aune de l’époque contemporaine ?
Confrontés à l’attente de formation des jeunes collègues, aux nouvelles demandes, nouveaux symptômes, nouveaux modes de jouissance, trente ans après cette journée, ne serait-il pas nécessaire une nouvelle fois pour la FEP de remettre sur le métier le soc tranchant de la vérité freudienne sur cette question, par l’ouverture de séminaires, cartels, publications, colloques… ?
Un enjeu majeur pour continuer à réinventer la psychanalyse au plus près de l’expérience de chaque cure, soumettre au débat la question de la transmission, la formation des analystes, la pratique de la psychanalyse aujourd’hui et au-delà des cures, défendre son maintien, son retour dans les institutions, à l’université, dans le social.
C’est dans le droit fil de cette nécessaire transmission que s’inscrit le colloque de la FEP à Madrid
qui se déroulera les 25, 26, 27 octobre prochain sur le thème
« Angoisse et dépression dans la clinique psychanalytique contemporaine« .